Quels objectifs ?
Le Programme Géologie Profonde de la France (GPFY consiste essentiellement à exécuter des forages à objectif scientifique sur des cibles géologiques continentales choisies en fonction de leur valeur exemplaire. C'est-à-dire que la sélection des cibles doit être faite avec beaucoup de soin de façon à explorer scientifiquement, et de manière exhaustive un modèle dont l'étude fournira des données nouvelles permettant de faire progresser les connaissances sur toute une gamme de phénomènes, ou de processus de même type. Dès le lancement du programme GPF en 1982, une douzaine de thèmes scientifiques avaient été retenus et traités au plan de leur faisabilité par différentes équipes de recherche travaillant simultanément. Sur le thème « plutonisme » plusieurs thèmes avaient été proposés tels que les granites alcalins de Corse, les leucogranites syntectoniques de Guérande, les granites migmatitiques de la Montagne Noire, les complexes basiques et ultrabasiques et les leucogranites minéralisés. Parmi ces objectifs possibles les complexes leucogranites peralumineux ont été sélectionnés car ils représentent un type pétrologique majeur dans la chaîne hercynienne européenne. Caractéristiques des orogènes formés par collision continentale, ils sont souvent accompagnés par des minéralisations importantes qui leur sont spatialement et génétiquement associées. C'est dans le socle d'Europe, le type de granites pour lequel l'acquisition de bonnes connaissances sur l'évolution des magmas, leur genèse, leur interaction avec les fluides et le bati encaissant, peut conduire à des résultats majeurs sur les mécanismes de transfert des éléments dans la croûte continentale et donner des guides immédiatement utilisables pour conduire l'exploration des ressources minérales en U, W, Sn, Ta, Li, par exemple, dans les nombreux massifs comparables .La réalisation d'un forage en carottage continu dans la partie apicale, la plus évoluée, d'un tel granite, a été retenue pour fournir à la communauté scientifique le moyen d'étudier l'évolution géochimique et métallo génique d'un modèle de ce type. Le sondage étant justifié par le fait qu'il n'existe pas à l'affleurement dans ce domaine de coupes complètes, non altérées, permettant sur une même verticale de faire des observations physiques et chimiques en continu. Finalement le thème « évolution géochimique et métallogénique d'un apex granitique » a été adopté et plusieurs cibles ont été envisagées en concurrence avec celle de Beauvoir-(1) BRGM, Directeur du Programme GPF Mémoire Géologie profonde de la France, tome 1 Échassières: Montebras, Moulin Barret, Neuf Jours. Mais il est très vite apparu que Beauvoir-Échassières était le choix le plus favorable :1. Par sa dimension restreinte et son degré élevé d’évolution, le massif, dont seule la partie apicale affleure, était favorable à la valorisation maximale d'un forage de moyenne profondeur.2. Par la gamme très étendue des minéralisations associées au granite.3. Par l'abondance des documents déjà disponibles sur ce site minier (cartographie, géochimie, sondages courts) qui donnaient un excellent degré de sécurité sur l'identification de la cible. Le complexe granitique d'Échassières se trouve dans le Massif central à 45 km au NNW de Clermont-Ferrand, entre le sillon houiller et la Limagne. C'est un ancien site minier ayant produit notamment de l'étain et du tungstène. La coupole granitique est composée d'un massif de taille réduite affleurant sur 6 km2 seulement au centre d'une antiforme constituée par les terrains métamorphiques de la série de la Sioule. Le massif mis en place au Westphalien, à un stade très avancé de l'orogenèse hercynienne, est porteur de minéralisations, en inclusions et en filons et il est intrusif dans la série des micaschistes qu'il minéralise. L'attention s'est portée essentiellement sur le granite leucocrate de Beauvoir qui ne forme qu'une partie du massif d'Échassières. Ce granite albitique à topaze-lépidolite est tout à fait remarquable par ses minéralisations (Sn, W, F, Li, U, Rb, Cs, Be, Ta, Nb) et il affleure sur la bordure sud-est du massif où il est exploité pour l'extraction du kaolin. D'importantes études complémentaires ont alors été réalisées en 1983 et 1984 dans le cadre des appels d'offre GPF1et GPF2 pour préciser, avec le maximum de détails la cible choisie. Des études pétrologiques et structurales ont été réalisées sur les deux granites affleurants (Beauvoir et Colette) et les auréoles géochimiques ont été cartographiées grâce à des campagnes d'analyses complémentaires sur les sols. Un effort important a été fait sur la géophysique notamment en gravimétrie et en prospection électrique. Ceci a permis d'estimer que le corps granitique était développé sur une section circulaire plus importante que les seuls affleurements et sur une épaisseur d'au moins 4 000 m, avec des racines plus profondes encore, mais avec une dissymétrie accusée du contact granite-micaschistes, plus vertical au sud et à l'ouest qu'au nord. Aucune indication géophysique cependant ne permettait de différencier le granite de Beauvoir à l'intérieur de ce « champignon » magmatique. Géologie de la France, n° 2-3, 19876 C. MEGNIEN. La réalisation directe d'un forage de plusieurs milliers de mètres à travers la totalité de l'ensemble granitique était exclue, du moins dans l'immédiat, et une approche plus pragmatique, par étapes, a été entreprise. Le forage a été décidé au cours du dernier trimestre 1984 et implanté de telle façon qu'il puisse recouper l'apex du granite de Beauvoir sous une couverture de micaschistes. Sa profondeur a été limitée à 900 m pour des raisons budgétaires. L'ouvrage a été réalisé du 20 décembre 1984 au 20 mars1985, en carottage continu orienté avec une récupération presque totale. Sur place, une importante équipe scientifique a assuré le suivi du forage, l'orientation des carottes, la description des structures, les déterminations pétrographiques et a procédé à l'acquisition des diagraphies. Le rapport d'exécution du forage (dit « livre blanc ») a été publié en octobre 1985 et a permis de lancer immédiatement un appel d'offres pour l'étude des matériaux de choix fournis par le sondage. Au total 23 laboratoires, ou équipes scientifiques, ont été titulaires d'un contrat, ou d'une aide à la recherche.
Quels résultats ?
Les résultats qui sont présentés ici comprennent d'une part un mémoire GPF qui rassemble les notes de synthèse des différents chercheurs et d'autre part un volume analytique comprenant une série de données brutes reproduites en offset. Le résumé extrêmement succinct qui est fait ci-après des résultats obtenus par chacune des spécialités mises en œuvre montre la convergence des études vers la définition d'un modèle précis de mise en place et d'évolution de ce type de granite à métaux rares. Le sondage a tout d'abord montré sur plus de 700 m une puissance exceptionnelle du granite de Beauvoir qui représente typiquement les termes les plus évolués des complexes granitiques peralumineux. Alors que l'interprétation classique en différenciation apicale sur quelques dizaines de mètres est encore très répandue, on a pu démontrer ici l'origine magmatique directe et l'intrusion autonome de ces granites très évolués à métaux rares. Le magma s'est mis en place par fracturation dans les micaschistes, par injection de lames successives dont on peut suivre en détail la progression par analyse structurale détaillée. Les études pétrographiques, minéralogiques et géochimique sont clairement montré que le taux de fractionnement observé est dû en majeure partie aux processus magmatiques et que les enrichissements en métaux rares (Sn, Ta, Nb, Li, Be) sont d'origine primaire. Les phénomènes de cristallisation observés ont été reproduits expérimentalement en laboratoire confirmant Mémoire Géologie profonde de la France, tome 1 ainsi l'ordre d'apparition des différentes phases minérales constituant la roche. Le point de fusion remarquablement bas (555 °C/3 kb) est dû au rôle fondamental du fluor et du lithium. Les nombreuses études réalisées, notamment sur les inclusions fluides, permettent d'observer la demixtion des aumures aqueuses chlorurées par arrivée à saturation du magma avant la cristallisation finale. L'ébullition de ces saumures magmatiques est provoquée par la baisse de pression consécutive à la fracturation hydraulique de l’encaissant, compte tenu des conditions relativement superficielles de la mise en place de ce granite. Les évolutions ultérieures du massif par hydrothermalisme convectif ont été retracées en détail. Enfin de très nombreuses études complémentaires ont enrichi considérablement la connaissance de ce modèle géologique, soit en réinterprétation géophysique (diagraphies, gravimétrie, susceptibilité magnétique), en données géothermiques (production de flux de chaleur, modèle de conductivité thermique du massif) aussi bien qu'en études minéralogiques d'extrême précision. A ce stade des études, un certain nombre de phénomènes majeurs sont encore insuffisamment étudiés pour faire l'objet de conclusions fermes. Il s'agit par exemple des relations cogénétiques ou non entre les différentes unités magmatiques du granite de Beauvoir et entre celles-ci et les autres termes du complexe leucogranitique pearalumineux d'Échassières ; ou encore de la comparaison détaillée des comportements géochimiques des nombreux éléments traces incompatibles et compatibles aux stades magmatiques et trans-solidus, de façon à appréhender l'importance et les conditions de fractionnement de ces éléments. En conclusion, le premier forage du programme GPF a pleinement démontré l'efficacité scientifique de cette entreprise:1. - En permettant de résoudre un problème géologique par le carottage continu d'une coupe de qualité qui donne des matériaux de choix pour les études pétrologiques, géochimiques et structurales.2. - En donnant accès à la troisième dimension qui apporte le complément indispensable aux études de surface.3. - En fédérant la communauté scientifique autour d'une cible commune ou chacun apporte la contribution de sa propre thématique ou méthodologie.4. - En fournissant des résultats nouveaux vérifiés par la confrontation des données en provenance d'équipes et de méthodes diverses. Devant l'importance de ce qui a pu être mis en évidence, certains chercheurs voudraient certainement proposer des études complémentaires sur les carottes, les lames, ou les poudres qui sont toujours disponibles. Ils peuvent le faire dès maintenant. D'autres proposent déjà d'approfondir le forage pour explorer ce qui se trouve sous le granite de Beauvoir. Pourquoi pas ?
Mots-clés: Sondage (profond), Granite, Tungstène substance, Étain substance, Lithium substance, Allier (Échassières)
Dernière mise à jour le 24.01.2019