Résumé
Le tourisme géologique est la redécouverte d’un phénomène ancien dont les prémices remontent à la fin des années 1600. Jusqu’à cette époque, la « connaissance scientifique » de la montagne (nous sommes encore loin du tourisme !) ne donne lieu qu’à quelques vagues comptes- rendus : Strabon, Pline l’Ancien, Tite-Live, Polybe… C’est au cours du « Siècle des Lumières » que quelques pionniers naturalistes entament leurs recherches sur les Alpes : ils le font par jeu, avec une âme d’enfant, simplement pour le plaisir de l’exploration, animés par une envie de découverte totalement désintéressée à communiquer. Cette équipe d’alpinistes-scientifiques-excursionnistes, réunie autour de la personnalité de H. de Saussure, définit sans le vouloir, le modèle du tourisme géologique : le goût pour le voyage et la vulgarisation. Leurs publications éveillent l’intérêt d’un public, toujours croissant, qui va contribuer au succès du « Grand Tour ». Avec l’ouverture de nouvelles routes et voies ferrées, hôtels et compagnies de guides envahissent soudain les Alpes. En peu de temps, l’image de la montagne cesse d’être celle de paysages sombres et hostiles pour revêtir les habits d’une beauté attirante. À une approche où s’opposent raison et sentiment, succède celle de la rencontre inattendue entre science et émotion, qui est à l’origine de la poésie naturaliste, des descriptions extatiques de phénomènes géologiques, rappels contagieux de paysages exotiques ou simplement de tous les jours. C’est ce lien fort et subtil qui unit dans l’espace et le temps les ouvrages tels que : Voyages dans les Alpes d’Horace Bénédict de Saussure (1796), Mon premier été dans la Sierra de John Muir (1911), Les Alpes de Federico Sacco (1934), jusqu’au Le Cervin est-il africain ? de Michel Marthaler (2001). La différence entre notre époque et celle des pionniers est que la montagne a sensiblement changé entre-temps : dégradée par des travaux successifs, dépouillée par le long mais inexorable retrait des glaciers, domestiquée par le tourisme de masse. Devant ces transformations, le tourisme géologique doit affirmer son rôle éducatif et environnemental et fournir, en même temps, l’occasion de contribuer à la protection et à la valorisation de l’extraordinaire et délicat écosystème alpin. Guido Rey a écrit à l’ombre du Cervin : « Ce qui m’effraie le plus pour l’avenir de la montagne, c’est le remplacement des anciennes traditions par l’agitation moderne des citoyens ignorants de la grande beauté naturelle des montagnes, trésor inestimable, cette possession délicate ne reviendra plus quand elle aura été détruite ».
Abstract
Geological tourism is the rediscovery of a well-known phenomenon whose premises date back to the end of the 17th century. At that time, ‘scientific knowledge’ of the mountains (this is still very far from tourism!) took the form of a few vague accounts: Strabo, Pliny the Elder, Livy, Polybius… It was in the ‘Age of Enlightenment’ that a few pioneer naturalists began studying the Alps. They approached this as a game, with a child’s soul, simply for the pleasure of exploration along with a completely disinterested desire to communicate. This team of alpinists-scientists-excursionists, gathered around the figure of De Saussure, unwittingly defined the model of geological tourism: a taste for travel and ‘vulgarization’. Their publications aroused increasing interest in an ever-growing public that contributed to the success of the ‘Grand Tour’, and the opening of new roads and railways that led to the sudden invasion of the Alps by tourist hotels and the establishment of professional guides. Within a short time, the mountains shed their image of sombre, hostile landscapes to don the finery of alluring beauty. The opposition between ‘reason and emotion’ is contradicted by the amazing, mysterious meeting of science and feeling, capable of producing flashes of ‘naturalist’ poetry, ecstatic descriptions of geological phenomena, contagious recollections of landscapes, exotic or simply ‘commonplace’. This is the strong, subtle bond that unites in time and space Horace Bénédict de Saussure’s Voyages dans les Alpes (1796), John Muir’s My first summer in the Sierra (1911), Federico Sacco’s Le Alpi (1934) all the way to Michel Marthaler’s The African Matterhorn; yes or no? (2001). The difference between our time and that of these pioneers is that the mountains have changed considerably since then: damaged by successive projects, stripped by the slow but inexorable retreat of glaciers, domesticated by mass tourism. In the face of these transformations, geological tourism must not relinquish its educational and environmental role, which is also an opportunity to contribute to the protection and enhancement of the extraordinary, and fragile, alpine ecosystem. In the shadow of the Matterhorn, Guido Rey wrote: “What most frightens me for the future of the mountains is the replacement of old traditions by the modern agitation of citizens ignorant of their great natural beauty, a priceless treasure, a fragile possession that will never return once it has been destroyed.
Dernière mise à jour le 09.06.2015