Résumé
Le Dévoluy (Hautes-Alpes, France) est l'un des témoins importants de la tectonique crétacée-tertiaire dans l'avant pays de l'arc alpin. Les sédiments d'âge crétacé supérieur et tertiaire de cette région ont enregistré l'évolution complexe des Alpes occidentales externes au Mésozoïque supérieur et pendant le Cénozoïque. Cette évolution comprend : (1) des plis et des, failles anté-sénoniens, (2) la sédimentation au Sénonien supérieur; (3) une seconde phase de plis et failles au Tertiaire inférieur, (4) la formation du bassin d'avant-pays des Alpes occidentales dès l'Éocène et, (5) une phase finale de plis et failles au Mio-Pliocène. La faille des Aspres-lès-Corps et le Massif du Pelvoux ont fortement influencé l'évolution puis la déformation de ce bassin. Des plis W-E à NE-SW traduisent une compression pré-sénonienne N-S à NW-SE. Les épais calcaires sénoniens qui reposent en discordance sur ces plis se sont déposés lors d'une période relativement mal comprise pendant laquelle les profondeurs de dépôt diminuaient. Une déformation localisée, post-sénonienne et pré-Éocène supérieur, est responsable de plis et de failles normales dans le nord-ouest du Dévoluy. Les plis sont orientés NNW-SSE et déversés vers l'W. Ils s'amortissent et disparaissent vers le S et sont antérieurs aux conglomérats continentaux de Pierroux. Des reliefs locaux et une extension existaient lors du dépôt des Conglomérats de Pierroux et des Calcaires Nummulitiques du Dévoluy du NE. Cet événement est enregistré : (1) par la faille normale médiane du Dévoluy, qui fut une faille normale à regard E au Priobonien avant d'être inversée au Mio-Pliocène, (2) par la faille de Lucles, à regard E, (3) par la structure de croissance du Pic Grillon, et (4) par la faille de Pierre Baisse, à regard SW. La localisation de ces structures dans le Dévoluy NE suggère qu'elles sont liées à la faille des Aspres-lès-Corps, active lors de la montée du Pelvoux. À l'Éocène supérieur et à L'Oligocène, six unités stratigraphiques montrent que le Dévoluy fut intégré au bassin d'avant-pays alpin : le Conglomérat de Pierroux, les Calcaires Nummulitiques, les Marnes du Queyras, les Grauwackes de la Souloise, les Arénites inférieures et les Silts supérieurs de St-Disdier. Bien que le Conglomérat de Pierroux ne contienne aucun fossile, son âge est stratigraphiquement contraint entre le Maastrichtien supérieur et le Priabonien. Cette unité atteint son épaisseur maximale de 150 m dans le Dévoluy du NE, s'amincit vers le S et l'W pour être stratigraphiquement absente au NW et au SE du Dévoluy. La taille des éléments clastiques diminue vers le SW. Cette formation est dominée par des niveaux de conglomérats épais de 1-5 m, mal stratifiés, à matrice de calcarénite contenant des galets dérivés d'une source locale, sénonienne. Cette formation s'est probablement déposée dans un éventail alluvial avec un dépôt centre au NE. Les Calcaires Nummulitiques, priaboniens, consistent en deux termes : les conglomérats nummulitiques à la base surmontés par les calcarénites nummulitiques. Les conglomérats de base, épais de 1 à 10 m) existent partout sauf dans le Dévoluy SE et NW Ils atteignent 100 m d'épaisseur au toit de la faille synsédimentaire de Lucles, dans le DévoLuy du N, où ils contiennent de nombreux et gros blocs de calcaire sénonien. Ces conglomérats comprennent deux lithofaciès régulièrement interlités : a) une calcarénite bien triée, à grain moyen et en lits épais de 1 à 100 cm et b) un conglomérat bimodal dont les lits peuvent atteindre 3 m d'épaisseur, à éléments arrondis à sub-anguleux de calcaires et cherts sénoniens dans une matrice de calcarénite. Ces deux lithofaciès contiennent de nombreux fossiles qui indiquent un environnement marin, peu profond, à haute énergie (par exemple, l'avant-côte supérieure, la basse plage ou les bordures des barres tidales peu profondes). Les calcarénites nummulitiques (1 à 15 m d'épaisseur), partout représentées dans le bassin. sont des " wackestones " ou des " packstones " bien litées (niveaux épais de 10 à 75 cm) avec des clastes arrondis à sub-anguleux. Ce faciès est parfois interlité avec des calcilulites en lits généralement inférieurs au centimètres d'épaisseur. Cette unité est interprétée comme le dépôt de moyenne énergie sur une plate-forme carbonatée à géométrie de rampe. Globalement, les calcaires nummulitiques se sont déposés dans un bassin marin, peu profond mais s 'approfondissant. Les Marnes du Queyras (Priabonien, 125 m d'épaisseur) sont fortement bio-turbées. Elles contiennent de nombreux foraminifères planctoniques et des débris siliciclastiques en quantité variable. Dans leur partie supérieure, une série de lits de grès carbonatés granoclassés, qui enregistrent un apport terrigène, est interprétée comme des turbidites. Les Marnes du Queyras se sont déposées sur une plate-forme ou une pente continentale assez profonde et de basse énergie. Cette formation passe à des sédiments siliciclastiques par l'intermédiaire de boues et silts épais de 25 à 50 m. Les Grauwackes de la Souloise (100 m d'épaisseur), affleurent surtout dans le Dévoluy septentrional. Il s'agit d'une séquence de lits répétitifs, de 1 à 80 cm d'épaisseur; granoclassés depuis des grès à grain moyen ou fin à leur base jusqu'à des silts et boues à leur sommet. Ces lits, attribués à des courants de turbidité diluée et à des tempêtes, se sont déposés sur une plate-forme de moins en moins profonde, peut-être devant un delta. La formation commence sous le niveau de base des vagues et finit au-dessus de ce niveau. Ces dépôts siliciclastiques ont dominé la sédimentation du Priabonien terminal à I'Oligocène inférieur. Les Arénites inférieures de St-Disdier (plus de 125 m d'épaisseur) ne contiennent aucun fossile, mais leur âge est considéré comme Oligocène inférieur (Rupélien). Leur limite inférieure est une discordance progressive le long de laquelle la lacune érosive diminue d'ouest en est, ce qui indique que la bordure occidentale du Devoluy était suffisamment haute pour être érodée avant ou pendant le dépôt du Rupélien. Cette formation est composée de grès à grain grossier ou fin suivant les endroits, vert ou gris-vert, les lits étant épais de 5 à 150 cm. Les fragments sont constitués de serpentinite et de roches métamorphiques localement abondantes, de quartz monocristallin à extinction droite ou ondulante, de quartz polycristallin, d'orthose, de plagioclase, de micas et de glauconie. Les Arénites inférieures de St-Disdier se sont déposées dans un bassin marin peu profond. Les Silts supérieurs de St-Disdier (plus de 75 m d'épaisseur), datés Oligocène supérieur (Chattien), affleurent seulement dans le Dévoluy de l'W sous le chevauchement médian du Dévoluy. Ils sont caractérisés par trois lithofaciès dont l'association est typique d'une plaine d'inondation alluviale : a) boues et silts rouges ou vert-rouges, de plaine d'inondation, b) grès verts à grain moyen à grossier, lenticulaires, à granulométrie décroissante vers le haut, qui érodent les boues et silts précédents en une série de chenaux ; c) silts et grès à grain fin, rouges à couleur chamois, avec des nodules calcaires. Ce dernier faciès indique une pédogenèse sub- aérienne. Les facteurs principaux qui contrôlent l'évolution du bassin d'avant-chaîne des Alpes sont tectoniques. Les fluctuations du niveau eustatique de la mer et les vitesses de sédimentation ont aussi eu une influence significative sur le remplissage du bassin. L'étape sous-remplie du bassin est représentée par la transgression marine des Calcaires Nummulitiques et par la sédimentation marine plus profonde des Marnes du Queyras, à I'Éocène supérieur. Le Dévoluy est le témoin le plus occidental et le plus jeune de cette transgression causée par les effets combinés de subsidence tectonique, de failles normales syn-sédimentaires et de la remontée du niveau de la mer, effets qui ont décapé les sédiments à dominante carbonatée. La transition à des conditions de moins en moins profondes, à l'Oligocène inférieur (Grauwackes de la Souloise), représente le stade de remplissage du bassin, quand l'apport sédimentaire devient plus important que la création d'espace ouvert. Cette transition est due à la combinaison d'une remontée tectonique locale et régionale, d'un apport sédimentaire accru, et de l'abaissement rapide du niveau eustatique. Enfin, le bassin d'avant-chaîne atteint un stade de sur-remplissage, comme en témoignent les conditions marines peu profondes puis continentales à l'Oligocène supérieur (les Arénites inférieures de St-Disdier et les Silts supérieurs de St-Disdier). Après l'Oligocène, le raccourcissement NE-SW a migré vers l'ouest à travers le Dévoluy, alors que la mise en place de nappes (aujourd'hui préservées en klippes) dans le Dévoluy du SE est antérieure au plissement. Ce plissement à vergence ouest a précédé les 3 km de déplacement sur le Chevauchement Médian du Dévoluy. La quantité de raccourcissement diminue vers le nord, où la compression NE-SW est localement décomposée entre des décrochements dextres N-S et un raccourcissement E-W sur le Chevauchement Médian du Dévoluy qui se verticalise et se connecte à la faille dextre des Aspres-lès-Corps. Le fait que le Chevauchement Médian du Devoluy remonte la stratigraphie vers le nord jusqu'à Mt. St-Gicon s'accorde avec une diminution du raccourcissement dans cette direction. Au toit du Chevauchement Médian du Dévoluy, les calcaires sénoniens, épais dans le Dévoluy du sud, sont brutalement coupés au nord par la zone de failles NE-SW de St-Etienne. A Mt St-Gicon, la réapparition soudaine des calcaires sénoniens dans le toit du Chevauchement Médian du Dévoluy suggère que ce bloc fût un haut paléotectonique dans le bassin. Les caractères stratigraphiques supportent cette hypothèse. La schistosité trouvée dans le Dévoluy n'est pus spatialement reliée aux plis. Elle est mieux développée dans les Marnes du Queyras, à proximité des failles, où elle apparaît dans une zone de déformation distribuée. Le fait que la schistosité soit approximativement parallèle aux plans axiaux des plis régionaux du Dévoluy traduit la contemporanéité des déformations fragiles et plicatives. Dans les chaînes subalpines méridionales, le raccourcissement ENE-WSW, d'âge post-Oligocène moyen à Pliocène, diminue vers le Dévoluy où il s'amortit. Le raccourcissement E-W à ESE- WNW de même âge dans les chaînes subalpines septentrionales fut nettement plus important et ne se relie pas à la déformation du Dévoluy. Il y a une discontinuité structurale claire entre les chaînes subalpines du nord et du sud. En conclusion, les Alpes externes occidentales ne forment pas un arc continu mais résultent de deux directions de transport tectonique distinctes, l'une NE-SW à ESE-WNW et l'autre NE-SW à ENE-WSW.
Abstract
Upper Mesozoic and Cenozoic sediments preserved in Dévoluy, SE France, record the complex synorogenic evolution of the western Alpine foreland basin at the bend in the external western arc. Periods of active tectonism in the late Mesozoic, early Tertiary, and Mio-Pliocene alternated with periods of orogeny-related sedimentation in the Turonian and late Senonian and the late Eocene through late Oligocene. E-W to NE-SW oriented pre-Senonian folds of Turonian to Coniacian age are unconformably overlain by up to 700 m of Senonian cherty limestones. Post-Senonian, pre-late Eocene tectonic activity resulted in the formation of NNW-SSE-oriented.folds and extensional faults in NE Dévoluy. Locally-sourced continental sedimentation postdates folding, but occurred synchronously with the extensional faulting. This localized deformation and sedimentation is believed to be related to strike-slip displacement along the Aspres-lès-corps Fault north of Dévoluy, which itself may have been related to pre-Priabonian uplift of the Pelvoux massif to the east. Upper Eocene Oligocene sédiments in Dévoluy document the development of a foreland basin in the external Alpine domain. The basin evolved from carbonate-dominated, transgressive marine conditions during the Priabonian to siliciclastic-dominated, regressive marine and continental conditions from the latest Priabonian through the late Oligocene. Tectonic tilting of the western basin margin accompanied the shallowing. Although this history is similar to that of other fragments of the western Alpine foreland basin, the paleogeography of Dévoluy was complicated by local tectonic activity, particularly on the Aspres-lès-Corps Fault. Post-depositional Mio-Pliocene foldding and thrusting was SW-directed in SE Dévoluy and W-directed in N Dévoluy. A zone of N-S oriented dextral faults occurs where the W-directed Median Dévoluy Thrust begins to steepen and links into the NE-SW oriented, dextral Aspres-lès-Corps Fault. This zone is interpreted as partitioning of regional SW-directed thrusting into strike-slip and thrust components. NE-SW faults with downthrow to the north represent a hanging-wall drop fault zone accommodating the northward stratigraphic climb of the Median Dévoluy Thrust.
Dernière mise à jour le 28.07.2015