Mots-clés : Système géothermique, Sondage, Altération hydrothermale, Fracturation, Puy-de-Dôme, Cantal, Haute-Loire (Cézallier).
Quels objectifs?
Dès le lancement du programme Géologie Profonde de la France (G.P.F.) en 1982, une place importante a été donnée à l'étude des fluides hydrothermaux actuels notamment dans les zones de socle. Le thème de recherche est d'une grande actualité au niveau international et le programme « Continental Scientific Drilling » des USA, par exemple, l'a placé en priorité (forage de Salton Sea).
Les fluides hydrothermaux jouent un rôle essentiel dans de nombreux phénomènes géologiques mais leur étude ne peut se faire qu'en surface par cartographie et analyses, ou bien être observés historiquement, soit par les dépôts qu'ils ont formés dans les fractures des bâtis rocheux, soit par les altérations qu'ils ont produites. Les forages pétroliers et géothermiques n'ont apporté de données nouvelles que dans les bassins sédimentaires où les conditions sont tout à fait particulières, mais dans les socles l'état des connaissances qui résultent d'une observation in situ est extrêmement faible.
C'est sur un site hydrothermal actif qu'une reconnaissance par forage peut apporter le maximum de données sur un tel phénomène :
- géochimie des fluides, équilibres et mélanges en fonction de la profondeur, contrôle des géothermomètres, origine des eaux et des gaz,
- dynamique des fluides en milieu fissuré, interconnexion des réseaux, pressions différentielles, mise en mouvement thermique,
- gradient géothermique, flux de chaleur, phénomènes transitoires, modélisation,
- fracturation du bâti, relation avec les contraintes actuelles et passées, conséquence sur les écoulements de fluides,
- altération et remplissage des fractures, reconstitution de l'évolution d'un système géothermal.
Quelle cible ?
C'est pourquoi, sous le thème « Géothermalisme actuel », différentes cibles ont été proposées entre le sud de la Limagne et Chaudes-Aigues dans un domaine hydrominéral actif où les indicateurs géochimiques des eaux traduisent des hautes températures d'équilibre avec les roches.
Une équipe de projet s'est constituée autour de la recherche d'une cible dans le socle cristallin du Cézallier, région favorable par sa position au toit de l'anomalie mantellique du Massif Central. Cette région se trouve en effet à l'aplomb d'un amincissement crustal et d'une remontée diapirique du manteau vers 25 km de profondeur. Elle constitue également une zone de distension géodynamique qui a eu une activité volcanique importante de type fissural au MioPliocène réactivée au Quaternaire comme en témoigne la présence de nombreux petits appareils volcaniques.
Au cours des études suscitées par les appels d'offres GFP1, GPF2 et GPF3, l'attention a été focalisée sur une zone située au nord de Massiac comportant un ensemble de sources minérales carbo-gazeuses ayant une convergence de composition chimique indiquant une origine commune d'importance régionale. Ces sources n'étant pas captées, elles pouvaient permettre une certaine liberté d'action pour des expérimentations par forage.
Les travaux préliminaires à l'implantation du forage se sont déroulés sur deux ans et demi:
- géologie : cartographie, relevé structural, pétrographie, minéralogie des altérites, néotectonique,
- géophysique : gravimétrie, magnétisme, magnéto-tellurique, sondages électriques,
- géochimie : géochimie des eaux minérales, des gaz et des travertins.
Deux sondages légers ont été réalisés, l'un vers Massiac (151 m) pour apprécier en zone non perturbée, le gradient géothermique, l'autre près d'Ardes-sur-Couze (186 m) pour reconnaître le toit du socle en zone d'émergence.
Ce dernier forage, réalisé à proximité de la source Sainte Marguerite de Chassole a déterminé le choix final du site.
La reconnaissance du système thermominéral profond a été constituée par un doublet de forages, l'un de 500 m réalisé par méthode destructive au marteau fond de trou, l'autre de 1 400 m en carottage continu. Le dispositif mis en place a été conçu pour permettre des expérimentations entre forages et en observer les effets à la fois sur le petit forage de 186 m et sur la source minérale dont on explorait les «racines».
Quels résultats ?
Les travaux de forage et d'expérimentation se sont déroulés de juillet à novembre 1985. Une importante équipe pluridisciplinaire a suivi minutieusement le chantier et a remis son rapport en février 1986. Après appel d'offres à la communauté géologique, 32 laboratoires de recherche ont été attributaires de contrats et le présent mémoire en donne les premiers résultats. Des compléments de travaux mis en œuvre sur le chantier expérimental pendant les étés 1986 et 1987 donneront lieu à des publications ultérieures.
Au plan des résultats, le risque principal de la recherche était de ne pas recouper de fractures aquifères en profondeur.
Fort heureusement, le forage de 1 400 m a non seulement intercepté de très nombreuses fissurations, mais 219 fractures ouvertes ont été notées et des venues d'eau ont pu être testées avec des débits relativement importants (1 à 5 m3 /h) compte tenu du faible diamètre de l'ouvrage (96, 76 et 60 mm).
Le relevé des niveaux hydrodynamiques, les tests effectués, le suivi hydrochimique en continu et les diagraphies thermiques ont permis de faire un très grand nombre d'observations.
Il ressort très schématiquement qu'une zone relativement compacte située entre 200 et 300 m de profondeur sépare deux réseaux aquifères. Le niveau supérieur correspond à une zone très fracturée en relation avec les eaux de surface, l'eau est peu minéralisée (0,6 g/l) et froide (13-17 °C). Le niveau inférieur comporte un réseau plus lâche renfermant des eaux captives avec une charge hydraulique plus basse. Leur composition chimique révèle un mélange entre des eaux météoriques et des eaux minérales. Cependant, avec l'accroissement de la profondeur, la minéralisation augmente progressivement pour atteindre 6 g/l et la composition
des eaux se confond avec celle de la source témoin tandis que la température atteint 59° à 1 350 m. Les diagraphies thermiques réalisées à différentes époques, soit immédiatement après pompage, soit après des périodes de repos de plusieurs mois indiquent l'existence d'un gradient thermique très perturbé. A plusieurs reprises, il a été constaté des arrivées d'eau plus chaudes que les épontes au-dessus de 500 m, tandis qu'en dessous on note au contraire des arrivées d'eau plus froides. Les valeurs moyennes du gradient géothermique passent de 4°C /100 m dans la tranche 0-500 m à 3 °C dans la tranche inférieure. Les eaux qui sont de type bicarbonaté sodique, contiennent une grande quantité de gaz carbonique (4,2 atm à 35 °C). Les géothermomètres basés sur les rapports des éléments en solution confirment que l'équilibre eau-roche s'est fait vers 200-220 °C. Compte tenu du gradient géothermique mesuré, les eaux proviendraient d'une profondeur de l'ordre de 6 000 m ce qui entraîne, en fait, l'existence d'une fracturation efficace jusqu'à cette profondeur.
Les déterminations isotopiques sur l'oxygène et l'hydrogène seraient en faveur d'une origine météorique de l'eau, mais il s'agit vraisemblablement de mélanges d'eau de provenances différentes. Inversement la grande quantité de gaz carbonique et les valeurs du rapport isotopique du carbone sont en faveur d'une participation importante du domaine profond. De même, le rapport isotopique hélium 3, hélium 4 indique que ce gaz est en grande partie originaire du manteau.
Les résultats concernant le bâti rocheux sont également très importants. Grâce au carottage continu orienté, les équipes ont pu déterminer non seulement les différentes familles de fractures, mais aussi reconstituer l'évolution tectonique du massif. Il apparaît ainsi que les fracturations, en grande partie acquises au cours de la phase tardi-hercynienne, ont été réactivées par deux distensions successives, à l'Oligocène et au Plio-Quaternaire.
Ce qui est remarquable, c'est que cette distension existe toujours actuellement comme l'ont montré les mesures de contraintes effectuées in situ par fracturation hydraulique.
Le remplissage des fractures par des minéraux d'altération indique l'existence de plusieurs phases successives permettant de reconstituer le paléothermalisme du socle. Les
deux dernières phases de moyenne, puis de basse températures, se rapportent respectivement à la distension oligocène et à celle du Plio-Quaternaire.
Les études complémentaires sur le volcanisme et notamment des datations supplémentaires des matériaux ont confirmé que les basanites qui se superposent en coulées successives
sur les plateaux du Cézallier représentent une intense activité volcanique depuis la fin du Miocène et couvrant tout le Pliocène. La deuxième phase volcanique est quaternaire, elle correspond à de nombreux indices volcaniques de morphologie très fraîche qui ont émis des laves basaltiques à enclaves de péridotites. Le volcan de Mazoires, situé à 3 km du forage, a été daté entre 150 et 200 000 ans.
En conclusion, le forage profond du Cézallier a apporté une quantité considérable d'observations nouvelles. Certaines ont été exploitées et présentées dans ce mémoire, d'autres sont encore à interpréter.
Actuellement, on peut considérer, entre autres :
1. que la démonstration a été faite que le socle pouvait être fracturé à grande profondeur et que le réseau de fractures était maintenu en distension, favorisant ainsi les zones d'ouvertures.
2. que les eaux pouvaient y circuler avec des débits significatifs et qu'un régime d'eau froide peu minéralisée descendant, pouvait être opposé à un régime ascendant d'eau chaude minéralisée, à gaz carbonique et hélium, alimentant les sources.
3. que les échanges eau-roche ne pouvaient se faire qu'à quelques 6 km de profondeur, à une température de l'ordre de 200 °C.
4. que les boucles de convection ainsi constituées pouvaient être mises en mouvement par le flux de chaleur provenant de la profondeur relativement faible du manteau.
Tous les problèmes de géothermalisme n'ont pas été résolus par le chantier du Cézallier mais de grands progrès ont été faits grâce à la connaissance de la troisième dimension qu'apporte le forage et à la possibilité qu'il offre de disposer d'un laboratoire souterrain. Il faut souligner l'effet d'entraînement que procure un programme comportant des grands chantiers où les équipes peuvent disposer de modèles en vraie grandeur où ils peuvent confronter leurs méthodes et leurs résultats. Ce mémoire en est le témoignage.
Dernière mise à jour le 31.01.2019