L'évolution géodynamique à la fin du Précambrien du segment armoricain de la chaîne cadomienne (France) : déformation d'une marge continentale active pendant une convergence vers le sud-ouest et une subduction d'un relief bathymétrique

The late-Precambrian geodynamic evolution of the Armorican segment of the Cadomian belt (France): Distortion of an active continental margin during south-west directed convergence and subduction of a bathymetric high
Auteurs: 
M. Brown
Année: 
1995
Numéro revue: 
3
Numéro article: 
1

Résumé

L'évolution géodynamique du segment armoricain de la chaîne cadomienne à la fin du Précambrien a été interprétée comme une agglomération de complexes d'arc continental calco-alcalin, de complexes associés de bassin intra-arc et de séquences allant de bassin marginal d'arrière arc jusqu'au bassin intra-plaque, dans une zone de convergence oblique en limite de plaques le long de la marge nord du supercontinent du Gondwana (par exemple Cogné et Wright, 1980 ; Graviou et al., 1988 ; Strachan et al., 1990). Bien que le magmatisme, le métamorphisme et la déformation de la chaîne cadomienne englobent toute la période allant de la fin du Néoprotérozoïque à I'Ordovicien-Silurien (tabl.1), le modèle géodynamique présenté dans ce document concerne la période 610-530 Ma environ dans la région située entre Belle-Isle-en-Terre et Caen (fig. 1). Dans cette région, la zone de cisaillement nord armoricaine (NASZ) sépare des éléments du "terrane" composite nord armoricain (NACT), composé de bassins sédimentaires et volcaniques du Briovérien à structure inversée et déformée au cours de l'orogenèse cadomienne, du "terrane" centre armoricain (CAT) dans lequel la principale déformation et le métamorphisme régional des series sédimentaires briovériennes sont varisques. Il est probable que le NASZ représente une structure cadomienne majeure, réactivée ultérieurement au cours de l'orogénèse varisque (cf Watts et Williams, 1979). Le NACT comprend quatre blocs qui sont séparés par des cisaillements ductiles et subverticaux et des failles cassantes (fig. 1). Du Nord au Sud, se trouvent les "terranes" du Trégor-La Hague (TLHT) et de Saint-Brieuc (SBT) de type arc, qui sont séparés par la zone de cisaillement sénestre décrochante de la Fresnaye (FSZ) des "terranes" malouin (SMT) et mancellien (MT) à caractère de bassin marginal d'arrière-arc ou de bassin intra-plaque (fig. 1). Les âges U-Pb sur zircon et sur monazite (par exemple Guerrot et Peucat, 1990), ceux obtenus sur monozircon par évaporation (par exemple Guerrot et al., 1994), les âges 40Ar/39Ar de refroidissement sur minéraux (Dallmeyer et al., 1991a, b, 1992a, 1993, 1994; D'Lemos et al., 1992b ; Ruflet et al., 1991), certains âges Rb-Sr sur roche totale et minéraux (Autran et al., 1983 ; Blund, 1984 ; Guerrot et Peucat, 1990) indiquent une évolution thermo-tectonique cadomienne polyphasée et complexe (tabl. 1). Dans le TLHT, à Guernesey, les âges U-Pb sur zircon des diorites quartziques déformées ont été interprétés comme manifestant leur cristallisation autour de 700 Ma (Dallmeyer et al., 1991a, 1992b), mais ils peuvent aussi être interprétés comme manifestant une cristallisation plus proche de 600 Ma (Auvray et al., 1992). Ces socks de diorites quartziques se sont mis en place, de façon syn-cinématique, pendant le cisaillement régional (Tribe et al., 1994), et les âges d'environ 610-595 Ma obtenus par corrélation isotopique 40Ar/39Ar sur hornblende pour ces roches et les amphibolites encaissantes sont interprétés comme manifestant le refroidissement régional postérieurement à la déformation et au métamorphisme (Dallmeyer et al., 1991a). Le magmatisme d'arc continental, à peu près contemporain, est représenté dans le Trégor par le batholite nord-trégorrois daté à 615 +137 Ma (U-Pb sur zircon ; Graviou et al., 1988) ; les âges 40Ar/39Ar d'environ 605-600 Ma sur biotite indique que le refroidissement régional était également du même âge que celui de Guernesey (Ruffet et al., 1991). A l'intérieur du SBT, les âges U-Pb et ceux obtenus sur monozircon, par évaporation semblent indiquer une cristallisation des complexes calco-alcalins dans l'intervalle de 750-650 Ma et de 600-585 Ma environ (Guerrot et Peucat, 1990 ; Guerrot et al., 1994). Les Ages 40Ar/39Ar de refroidissement à 570-565 Ma, obtenus sur les minéraux de l'intrusion dioritique/quartzique tardi-à post-tectonique et sur les roches supracrustales métamorphisées indiquent que le refroidissement post-métamorphique, qui a suivi la déformation transpressive et le transport tectonique vers le sud ou le sud-ouest (Brun et Balé, 1990 ; Le Goff et al., 1994), était d'environ 30 Ma plus jeune dans le SBT rue dans le TLHT (Dallmeyer et al., 1991 b). Bien qu'elle ne soit pas aussi bien contrainte, la succession chronologique des événements plutoniques cadomiens à la Hague montre des similitudes avec les événements dans le STB et semble indiquer une transition du TLHT au SBT à La Hague. Notre interprétation est que ces deux "terranes" ont formé une unité tectonique latéralement continue, représentant un arc magmatique et un bassin intra-arc se développant avant que ne commence leur séparation autour de 610 Ma. Le soulèvement et l'exhumation de l'arc magmatique interviennent à une époque contemporaine de la période principale de volcanisme et de sédimentation dans le bassin intra-arc. Par opposition, le SMT et le MT se caractérisent respectivement par des migmatites dérivées par anatexie d'une série de bassin marginal (SMT) et de plutons granitiques d'origine intracrustale mis en place dans les niveaux supérieurs d'une séquence plus distale de bassin intra-plaque (MT) (Darlet et al., 1990 ; Dabard, 1990 ; Brown et al., 1990 ; Brown et D'Lemos, 1991 ; D'Lemos et Brown, 1993). Le contraste géologique entre le TLHT/SBT et le SMT/MT se manifeste également dans leur signature géophysique (Brun et Balé 1990), qui indique que le FSZ est une structure cadomienne majeure, certainement active à partir de 570 Ma environ et vraisemblablement active auparavant (cf. Brun et Balé, 1990). Cependant, il n'y a pas d'argument convaincant pour que le FSZ représente le site de la subduction cadomienne, dirigée vers le nord, comme l'implique le modèle de P. Graviou (1992). A l'interieur du SMT, des âges U-Pb sur zircon et monazite, et les âges Rb-Sr sur roche totale d'environ 540 Ma ont été obtenus sur le granite d'anatexie intrusif dans les migmatites de Saint-Malo (Peucat, 1986), ceci en accord avec un âge obtenu sur monozircon, pur évaporation sur le granite de Cancale (Guerrot et al., 1994). Des âges sur monazite allant de 550 à 540 Ma ont été mis en évidence pour le complexe granitique de Vire-Carolles dans le nord du MT (Pasteels et Doré, 1982), bien qu'un âge Rb/Sr de 521± 11 Ma, par isochrone sur roche totale et minéraux légèrement plus jeune, ait été mis en évidence pour le granite de Fougères (complexe granitique de Louvigné-Gorron) au sud du MT (Autran et al., 1983), ce qui est compatible avec les âges plateau 40Ar/39Ar sur muscovite d'environ 525 Ma du complexe granitique de Bonnemain à l'ouest du MT, interprétés comme symptomatiques du refroidissement post-magmatique (Dallmeyer et al., 1993). La mise en place des granites dans le SMT et le MT accompagne la transpression sénestre régionale (Strachan et al., 1989 ; D'Lemos et al., 1992a). L'âge probable de la sédimentation des séquences briovériennes est de plus en plus jeune vers le sud, de "terrane" en "terrane ", ce qui est en accord avec le modèle de rajeunissement des principaux événements thermo-tectoniques à l'intérieur du segment armoricain de la chaîne cadomienne. Ces caractéristiques sont interprétées comme enregistrant la déformation orogénique, diachronique à l'échelle régionale, qui se propage dans l'arrière-pays à travers une zone de limite de plaques à convergence oblique. Le refroidissement post-métamorphique pendant l'intervalle 610-595 Ma dans le THLT est interprété comme manifestant le soulèvement et l'exhumation associés à une accrétion progressive de ce segment d'arc contre le bassin intra-arc du SBT, au cours de la déformation transpressive régionale qui est associée à un système de failles décrochantes parallèles à l'arc, qui lui-même se déformait progressivement. Cette déformation est interprétée comme étant une réponse à une certaine singularité le long de la limite des plaques, telle que l'entrée dans la fosse d'un relief bathymétrique, par exemple une dorsale asismique ou un arc insulaire jeune. La propagation vers l'arrière pays de la déformation résulterait de l'anomalie provoquée par la subduction de ce relief. Le TLHT et le SBT ont suivi une histoire commune concernant le magmatisme calco-alcalin post-tectonique, daté autour de 570 Ma. Le refroidissement post-métamorphique, environ 570-565 Ma dans le SBT, est considéré comme reflétant le soulèvement et l'exhumation dus à une accrétion progressive des "terranes" composites THLT/SBT avec les unités du bassin d'arrière arc et du bassin intra-plaque, représentées par les "terranes" composites SMT/MT. La déformation liée à cette accrétion a conduit à une inversion du bassin, qui a entraîné la déformation polyphasée dans le SMT, et ultérieurement le développement d'une phase de plis redressés à schistosité subverticale dans le MT (Brown et D'Lemos, 1991). Les observations structurales, pétrographiques, géochimiques et isotopiques semblent indiquer que le SMT et le MT représentent différents niveaux structuraux d'une même unité tectonique (Brown et D'Lemos, 1991 ; D'Lemos et Brown, 1993). D'après le modèle de P.-Y.F. Robin et A.R. Cruden (1994), un cisaillement simple transcurrent dans la croûte inférieure pourrait être lié par des décollements sub-horizontaux dans la croûte centrale à des zones faillées verticales mais courbes dans la croûte supérieure (MT). L'absence de preuve d'un épaississement crustal important au cours de l'orogénèse cadomienne implique que l'activité orogénique n'a pas culminé dans une collision continent/continent. Ceci est en accord avec l'interprétation de la chaîne cadomienne comme étant un orogène périphérique situé en bordure d'un supercontinent précambrien (Murphy et Nance, 1991 ; Nance et Murphy, 1994). Un flux de chaleur plus fort à travers la lithosphère distendue pourrait avoir facilité l'anatexie pendant la relaxation thermique des séries de bassin marginal à structure inversée et sans épaississement important. Cependant, un surcroît advectif de chaleur dû à des intrusions sous-crustales ou intra-crustales de basalte riche en alumine, mises en évidence par des complexes basiques de petit volume à la fois dans les SMT et le MT, a été vraisemblablement nécessaire, en particulier pour générer le volume de granites mancelliens. Dans le MT, l'extension et la sédimentation ont continué après 570 Ma, synchrones de l'inversion structurale dans le SMT. L'anatexie dans le SMT et à des niveaux plus profonds dans le MT a facilité la transpression sénestre, la déformation étant, au moins en partie, accomodée à la variation de volume due au transport de magma des zones profondes anatectiques vers les niveaux crustaux plus élevés. Un modèle géodynamique pour l'évolution à la fin du Précambrien, du segment armoricain de la chaîne cadomienne est développé pour expliquer les caractères géologiques, ainsi que la nature diachronique et la migration spatiale de la déformation orogénique. Le modèle suppose la collision d'un relief du plancher océanique, tel qu'une dorsale asismique ou un jeune arc insulaire, au niveau de la fosse océanique le long de la limite des plaques, à environ 610 Ma. La segmentation des domaines crustaux allant du bassin marginal et du bassin d'arrière arc jusqu'au bassin intra-plaque, en éléments de "terrane" distincts mais géologiquement associés, ainsi que leur accrétion diachronique subséquente en un unique "terrane" composite, est une conséquence de la subduction de ce relief et son effet progressif sur le champ de contraintes lors de la courbure de la marge continentale. L'accrétion de "terranes" exotiques et éloignés n'est pas nécessaire pour expliquer les éléments afleurants du segment armoricain de la chaîne cadomienne. Le modèle explique à la fois le diachronisme dans l'accumulation des sédiments et l'évolution thermo-tectonique allant du nord au sud, et de "terrane" en "terrane", ainsi que la configuration cartographique des "terranes" qui s'amincissent en se biseautant vers le sud-ouest lorsqu'ils s'incurvent autour de l'arc d'Yffiniac au fond de la Baie de Saint-Brieuc. Par ailleurs il apporte une explication appropriée du métamorphisme HT-BP et des granites cadomiens intracrustaux, qui précédemment, manquait aux modèles proposés pour ce segment de la chaîne cadomienne.

Abstract

Within the Cadomian belt, the North Armorican composite terrane (NACT) records late-Precambrian subduction- related magmatism and accretionary tectonism ut an active continental mar- gin. The NACT comprises four terrane elements separated by steeply-dipping ductile shear zones and brittle .faults. From north to south these elements are: the Trégor-La Hague terrane (TLHT), a continental arc; the St. Brieuc terrane (SBT), un intru-urc busin; and the St. Malo (SMT) and Mancellian (MT) ter- ranes, representing behind-arc margi- nal-basin to within-plate basin settings. U-Pb, Pb-evaporation, 4oAr/39Ar, and selected Rb-Sr whole-rock and minera1 ages imply a complex, polyphase tecto- nothermal history for- the Armorican segment of the Cadomian belt. The gene- rally southward-younging inferred age of sedimentation of Brioverian supra- crustal sequences and age of major tec- tonothermal events from terrane to terrane records regionally diachronous and hinterland-propagating orogenic deformation. As the plate-boundary zone started to deform, sinistml oblique sub- duction was partitioned into contractio- na1 and strike-slip components in the TLHT, but inboard intra-arc extension, volcanism and syn-orogenic sedimenta- tion continued. These features are inter- preted to reflect a singularity at the obliquely convergent plate-boundary zone, such as the entry into the trench of an ocean floor bathymetric high. A mode1 is developed in which it is pro- posed that an aseismic ridge or Young oceanic island arc impinged upon the trench at c. 610 Ma. Subduction of this feature led to tectonic segmentation of the continental margin, regional sinis- tral transpression, terrane accretion and progressive distortion of the continental margin as deformation propagated inboard. Moderate thickening of the behind-arc marginal-basin sequence, supplemented by advection of mantle- derived magma, resulted in intracrustal melting to generate the St. Malo migma-tites. Further inboard, the Mancellian granites were emplaced into a structu- rally simple, upper crustal environment. Higher heatflow to generate these mag- mas may reflect extension during the interval c. 570-540 Ma in the zone per- ipheral to the collision of the bathyme- trie high with the trench, as well as advection of mantle-derived magma. Subsequent inboard propagation of the deformation at c. 540 Ma reflects wea- kening of the trust during anatexis and accommodation of sinistral transpres- sion by migration of melt upward to higher structural levels.

Dernière mise à jour le 04.08.2015